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Anatomie d'une chute en réalité virtuelle : avancée majeure contre la peur de tomber des personnes âgées

Les troubles de l’équilibre, amplifiés par la peur de tomber, représentent un défi psychologique pour les seniors, avec une prévalence de 3 % à 92 % (Schoene et al., 2019).

Cette peur peut induire un comportement d’évitement, dans lequel les individus limitent leurs activités physiques par kinésiophobie ou crainte d’une chute éventuelle. Cela peut malheureusement conduire à une réduction de la mobilité et à une perte d’indépendance (Tinetti & Powell, 1993 ; Lachman et al., 1998 ; Gaxatte et al., 2011).

Ce cercle vicieux de déconditionnement et d’augmentation du risque de chute constitue un véritable enjeu de Santé publique.


Une patiente âgée en séance de kinésithérapie avec kiné, portant un casque de réalité virtuelle

 Dr. Hajer Rmadi explore ces dynamiques complexes dans sa thèse, « Approche posturo-comportementale de la peur de tomber en réalité virtuelle : acceptation et perspectives de prise en charge chez le sujet âgé » (2023). Elle met en avant les mécanismes expliquant les liens entre l’émotion de « peur de tomber » et la posture, ainsi que le potentiel de la réalité virtuelle pour la rééducation comme intervention thérapeutique innovante.

 

Dans son travail doctoral, Dr Rmadi réalise 3 études : la première sur l’acceptation de la réalité virtuelle par les personnes âgées, puis deux études sur les réactions liées à la peur de tomber en exposant en réalité virtuelle des sujets âgés puis des sujets jeunes de moins de 30 ans.


Innovation en gériatrie : le potentiel de la réalité virtuelle (VR)


 La réalité virtuelle se présente comme une solution prometteuse pour aborder la peur de tomber, permettant la création d’environnements contrôlés où les scénarios de chute seraient simulés sans risque. Cette approche favoriserait une accoutumance progressive à la sensation de déséquilibre (Grenier et al., 2015).

 

Cependant, cela nécessite au préalable l’acceptation de la réalité virtuelle et son intégration dans les protocoles de prise en charge pour les sujets âgés.

 

Dans son travail doctoral, Dr Rmadi démontre une adhésion positive à la réalité virtuelle chez 33 personnes, de 89,3 ans en moyenne, vivant dans 8 EHPAD différents.

La réalité virtuelle immersive est non seulement bien tolérée, mais aussi bien acceptée par un public senior, ouvrant la voie à des applications thérapeutiques plus larges.


 Face à la peur de tomber : décryptage des émotions et des réaction posturales

  

Dr Rmadi poursuit en examinant l’influence de la peur sur les réactions posturales dans des environnements virtuels et l’effet d’une exposition répétée à travers deux études auprès de sujets âgés et jeunes, en collaboration avec KineQuantum.

 

L’expérience auprès des personnes âgées a été effectuée en crossover randomisé bi-centrique. Les 27 participants avaient plus de 65 ans et la capacité de maintenir une station bipodale au moins 5 minutes. Ils ont été exposés à deux types de scénarios virtuels : une scène de Bascule (B) en avant simulant une chute antérieure, et une scène de Translation (T) reproduisant un avancement sans chute.

 

Les participants ont ensuite été exposés à ces scènes à plusieurs reprises, pour évaluer l’évolution des réactions des participants.


Quand la réalité virtuelle simule la peur : chute virtuelle mais réalité phobique


La scène de Bascule (chute en avant) engendre davantage de peur que la Translation chez les personnes jeunes et âgées.

L’analyse des réponses émotionnelles révèle une augmentation significative de la peur lors de la 1re exposition au scénario de Bascule.

Cela se traduit avec une moyenne à 4,57 sur 10 sur l’Échelle Numérique de la Peur (ENP), contre seulement 0,90 pour celle de Translation.


Des facteurs clés expliquent le ressenti de la scène de Bascule comme plus génératrice de peur chez les personnes âgées que parmi les plus jeunes. Ces facteurs sont la représentation de la chute, leurs antécédents de chute et de la perception d’un sentiment d’incapacité face à celle-ci. Cet ensemble de causes a ainsi permis d’attribuer le caractère phobique à la chute en réalité virtuelle.


Peur psychologique en réalité virtuelle : des réactions posturales bien réelles


 Les participants jeunes et âgés ont également développé plus de réactions posturales dans la scène de Bascule. Chez les sujets âgés, les attitudes posturales (longueur du centre de pression et surface de diagramme de phase) résultent de la baisse des ressources attentionnelles nécessaires pour les mobiliser à la fois vers la chute et vers le contrôle postural.

 

En effet, les réserves attentionnelles diminuent avec la vieillesse et la maîtrise de la posture devient particulièrement couteuse cognitivement pour les personnes âgées. Ainsi, le biais attentionnel accordé à la menace de chute entrainerait l’excès des altérations posturales chez les seniors lors de l’exposition à la chute virtuelle.

Le rôle crucial de la vue dans la gestion de la peur de chute: impact des stimuli visuels sur la posture


Les modifications élevées des réactions posturales des sujets peut être attribuée à la stimulation visuelle intense et à la sensation de mouvement induite par le casque de réalité virtuelle, qui amplifient l’impression de déséquilibre et, par conséquent, la peur de chuter.

 

En effet, un niveau accru d’inquiétude posturale influe sur le processus de repondération sensorielle impliqué dans le contrôle de la posture par l’augmentation de l’ancrage visuel face à la menace perçue (Bolmont et al. 2002 ; Hainaut et al. 2011).

Les participants ont donc développé une dépendance envers les informations visuelles et cela a modifié leur perception des référentiels spatiaux et de la verticale subjective (Barra et al., 2010).

Ce constat est validé par Viaud-Delmon et al. (2001) qui explique que, dans les situations menaçantes, les états d’anxiété s’accompagnent d’une dépendance visuelle et d’une difficulté à construire une perception cohérente de la position du corps dans l’espace.

 

Étant donné le lien entre verticale subjective et troubles posturaux (notamment la rétropulsion) (Manckoundia et al., 2007), les réactions posturo-comportementale des individus lors de la perception de la menace sont la conséquence d’un biais de perception de la verticale physique. L’impact sur la réactivité musculaire des stimulations visuelles induites par la réalité virtuelle est aussi à prendre en compte.


 La technologie au service des kinés : surmonter la peur de tomber avec la réalité virtuelle


La réduction progressive de la peur : l'effet de l'habituation émotionnelle


Une baisse graduelle de la peur a été mesurée au fil des expositions à la scène de Bascule. Cela se traduit par une diminution de l’ENP de 4,57 initialement à 1,52 après plusieurs occurrences, mettant en évidence un phénomène d’habituation émotionnelle significatif.

 

En effet, l’exposition répétée à un objet perçu à l’origine comme phobique et menaçant peut modifier progressivement le schéma cognitif de peur associé à cette situation (Lambrey et al., 2010).

 

Grâce à ce processus, les participants perçoivent de moins en moins le vide antérieur et la chute comme inquiétants, réduisant ainsi la peur et le déséquilibre ressentis. Ce constat a aussi été retrouvé dans d’autres études dans lesquelles, sur le plan émotionnel et cognitif, des changements ont été notés à la suite d’une exposition réitérée à la menace (Zaback et al., 2019b).


Mécanisme cognitif expliquant les réactions émotionnelles et posturales des sujets âgés lors de l'exposition à une simulation de chute virtuelle
Mécanisme cognitif explicatif des réactions émotionnelles et posturales à l'exposition à la chute virtuelle

La transformation posturo-comportementale par la réalité virtuelle


Au-delà de l’habituation des réactions émotionnelles, l’exposition répétée à la scène de chute virtuelle a aussi permis une atténuation des réponses posturo-comportementales.

 

Une libération cognitive des ressources attentionnelles, initialement allouées à la menace, explique en partie cette diminution. Les ajustements posturaux sont devenus progressivement plus automatiques et le contrôle postural est devenu moins couteux lors des expositions suivantes. Cette adaptation s’est traduite par une réduction de la surface du diagramme de phase dès la 2e exposition et a continué à baisser durant les 11 expositions postérieures.

Les participants se sont acclimatés rapidement à la menace de chute, adoptant une stratégie d’équilibration plus efficace.

Outre ce mécanisme neurologique, un processus sensoriel facilite aussi l’adaptation posturale. La chute n’étant plus perçue comme menaçante, l’ancrage visuel attribué initialement à la menace a diminué au fur et à mesure des expositions, réduisant la dépendance visuelle et améliorant l’attitude posturale du patient.

Ces résultats renvoient aux Théories Cognitivo-Comportementales (TCC), dans lesquelles l’approche est basée sur l’exposition répétée à la source de la phobie afin d’atténuer les réactions émotionnelles et d’adapter le comportement.


La réalité virtuelle : un levier puissant pour la thérapie cognitive-comportementale


Les techniques de désensibilisation comportementales exposent systématiquement les individus à un stimulus menaçant pour réduire ou normaliser la réponse émotionnelle et comportementale face à cette menace (Lang & Craske, 2000).

 

Toutefois, pour garantir la validité et l’efficacité de la Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC), des conditions doivent être respectées : la bonne reproduction de l’objet phobique et la possibilité de diminuer, à la suite d’expositions multiples, la peur subjective qui y est associée ainsi qu’une amélioration des réactions liées (Hofmann et al., 2012). C’est ce que ce travail doctoral a démontré.

 

Percée dans la lutte contre le SDPM : L'alliance gagnante de la réalité virtuelle et de la TCC


Le Syndrome de Désadaptation Psycho-Motrice (SDPM) est l’une des complications les plus graves et fréquentes de la chute pour les personnes âgées, touchant parfois jusqu’à 75 % des patients hospitalisés à la suite d’une chute (Manckoundia et al., 2014).

 

Les individus avec un SDPM évaluent certaines situations plus menaçantes qu’en réalité et y répondent en conséquence par une attitude posturale défensive exagérée.

 

Dr. Rmadi a reconstitué lors d’une première exposition à une chute, une peur et des réactions posturo-comportementales similaires à celles décrites dans le SDPM. Elle démontre qu’en exposant des participants à plusieurs reprises à une scène simulant une chute, l’ensemble des réponses émotionnelles et posturo-comportementales peuvent être réduites.

Le scénario en réalité virtuelle répond ainsi aux conditions nécessaires à l’application de la TCC pour rééduquer les composantes psychologiques et posturo-comportementales du SDPM.

 

La réalité virtuelle, un outil très prometteur pour les seniors

 

Le travail du Dr Rmadi a démontré que :

  • La réalité virtuelle peut être utilisée de façon sécurisée chez les sujets âgés,

  • Une scène en réalité virtuelle simulant une chute est un constituant phobique de la peur de tomber,

  • L’effet positif de l’exposition répétée à l’élément phobique sur l’atténuation des composantes psychologiques et posturales de la peur de chuter.

La réalité virtuelle thérapeutique serait un outil efficace de prise en charge du SDPM.

Appliquée de manière progressive et adaptée aux capacités des personnes âgées, elle pourrait réduire à la fois la composante psychologique et posturale du SDPM.

 

L’exposition avec ce matériel s’effectuerait graduellement, en fonction de la tolérance du patient, avec une vitesse et une amplitude de rotation ajustables. Cela, en complément d’une prise en charge en rééducation qui confronterait dans le monde réel l’individu à sa propre peur. Cette transposition permettrait le transfert de l’apprentissage acquis grâce aux expositions à la réalité virtuelle dans l’environnement réel. Une rééducation motrice en kinésithérapie pourrait consolider les gains obtenus et les mettre en pratique, notamment avec des exercices fonctionnels.

 

L’utilité d’une thérapie rééducative en réalité virtuelle associée à un programme de kinésithérapie pour des seniors atteint d’un SDPM est donc validée. La modernisation de la prise en charge des troubles psychologiques, psychomoteurs et posturaux dans le cadre du SDPM grâce à un matériel utilisant la thérapie d’exposition à la réalité virtuelle s’avère intéressante et très prometteuse.


Le travail du Dr Rmadi confirme l’importance et l’efficacité de la réalité virtuelle en tant qu’outil thérapeutique dans la prise en charge de la peur de tomber chez les personnes âgées. L’acceptation de la réalité virtuelle par les seniors dans les EHPAD et son efficacité dans la simulation d’événements phobiques ouvrent de réelles perspectives prometteuses pour le traitement du SDPM et plus généralement des chutes des personnes âgées.

 

La valorisation de l’utilisation de la réalité virtuelle, notamment par le biais d’appareils de rééducation en réalité virtuelle tels que KineQuantum, représente une avancée significative dans la prise en charge gériatrique. Nous remercions le Dr Rmadi pour son travail.

Son approche novatrice offre une base solide pour le développement futur de méthodes thérapeutiques individualisées, avec des exercices adaptés aux besoins spécifiques de la population vieillissante.


Pour en savoir plus, découvrez également en cliquant ici le travail réalisé par Mathilde Mangin à l'Institut Genevoise du Maintien à Domicile sur les chutes.

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